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Louis Gosselin ou l'immanence du sacré

Gilles Rioux - Vie des Arts

https://www.erudit.org/fr/revues/va/1985-v30-n121-va1161919/54076ac/

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Jusqu'à ce que le discours esthétique commence à se prétendre scientifique, vers la seconde moitié du dix-neuvième siècle, il était acceptable de citer, a propos des origines lointaines de la sculpture ou de la céramique, la formation de l'homme avec un peu de limon de la terre. Si belle que soit cette métaphore biblique, l'idéalisme religieux étant devenu suspect, notre temps l'a reléguée au rang des clichés. De même pour l'évocation de ces figurines d'animaux modelées dans la glaise par l'homme préhistorique à même la paroi des cavernes.

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Pourtant, ces rappels furtifs ne sont pas totalement dépourvus d'à propos lorsqu'il s'agit de présenter l'œuvre d'un sculpteur comme Louis Gosselin. Sans recourir à une psychologie religieuse frelatée ou se complaire dans des interprétations jungiennes simplistes, force est de reconnaître que Louis Gosselin renoue instinctivement avec les forces gigantesques déployées dans la formation de l'univers et les pulsations premières inscrites dans tout être vivant, depuis l'amibe primaire jusqu'à l'humain, admirable dans sa complexité.


Outre sa formation artistique l'homme a touché, comme on dit, à trente-six métiers qui ont indubitablement modelé sa relation à l'univers, son contact avec les matériaux et les techniques ainsi que sa connaissance des humains. Ce qui, chez certains, ne serait demeuré qu'accidents de parcours ou aléas de l'existence, se métamorphose chez d'autres en un faisceau d'expériences qui concourent à un élargissement de la conscience ou une emprise accrue sur le monde; dans ce processus, les acquis vont au-delà de la simple maîtrise d'une technique pour déboucher sur une sensibilisation aux matières qui, grâce à cette étroite intimité, communique aux œuvres un cachet d'authenticité et un surcroit d'intensité. 


Et là nous touchons au vil du sujet : la spécificité de l'activité artistique chez Louis Gosselin. On pourrait à la limite parler d'une sorte d'animisme; à savoir que tous les êtres et tous les objets sont animés de l'intérieur d'une certaine forme de vie qui leur est propre et qu'il nous est permis d'appréhender analogiquement par le biais d'une disponibilité personnelle et d'une sensibilité aiguë à la notion même d'existence. Toute forme d'existence ou de vie procède d'un rythme ou d'une vibration, que ce soit à l'échelle humaine, végétale, microbienne, géologique ou cosmique.

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De cette conception, procede l'affirmation qu'en art : Toute forme est à base de rythme; et avant même toute forme je recherche le rythme qui préside la naissance d'une forme. Oui, un rythme d'abord imperceptible et lancinant, qui s'installe lentement, presque à l'insu de l'artiste et s'impose finalement à lui au point de le subjuguer totalement pour un certain temps. Ces rythmes et leurs variations constituent la structure essentielle de la plupart des œuvres de Louis Gosselin. À preuve ces étonnantes séries de dessins réalisés aux marqueurs de couleur et encore inconnues du public. Ils offrent à voir des gerbes de traits parallèles, légèrement recourbés selon que la surface disponible permet une oscillation de la main jusqu'au poignet, soit jusqu'au coude, ou bien de tout le bras jusqu'à l'épaule. D'une feuille à l'autre les traits se groupent ou se dispersent, s'entrecroisent ou s'organisent en des rythmes visuels plus ou moins denses, saccadés ou souples. Et la main qui triture la ceramique ne travaille pas autrement. 

 

Tournant le dos à une certaine pratique traditionnelle et routinière, Louis Gosselin a élu la céramique et plus particulièrement la porcelaine comme matériaux privilégiés de sa sculpture. Loin des vases et des assiettes, il s'aventure résolument dans une voie plus exigeante parce que le risque assumé est plus élevé. Sans modèle externe, ni image mentale préalable, il travaille dans l'instant, sans pouvoir prévoir ce qui sortira de ses mains. Assurément, les préparatifs et la mise en place constituent un rituel préliminaire assez long dont les opérations, les gestes et les tâtonnements favorisent une mise en condition et une concentration physique indispensable à toute performance artistique.

 

Lorsque l'artiste a bien senti son matériau, que son étre s'en est imprégné, alors, à la faveur d'un geste, d'une manipulation ou d'une expérimentation, s'enclenche un processus rapide, frénétique et de durée variable, durant lequel les mouvements acquièrent un rythme soutenu et s'organisent les uns par rapport aux autres et se traduisent par l'exécution d'une bonne série des pièces. Puis la cadence se relâche et l'ardeur créatrice décroit; une pause est nécessaire pour permettre aux énergies physiques et psychiques de se reconstituer. Une telle exaltation peut se prolonger plusieurs semaines. Si des conditions favorables sont maintenues. Un exemple simple et probant nous est donné avec cette motte de terre que l'artiste manipule distraitement et qui, un coup de pouce par-ci, deux passions par-là, et encore un peu de-ci, de là, devient Crapaud! 

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Tenter de décrire les œuvres de Louis Gosselin est aussi périlleux que vain, tandis que la photographie, elle se fait aussi éloquente qu'efficace. Au mieux, les mots peuvent-ils se glisser comme des sous-titres furtifs propres à évoquer certaines analogies purement formelles : plissements de formations géologiques, empreintes préhistoriques, coquillages fossilisés. éclats de roches, fragments métalliques érodés. Toutes choses primordiales sur lesquelles la parole n'a que peu de prise.

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Furtitement, Louis Gosselin retrouve et restitue intuitivement dans et par ses sculptures les grandes pulsations qui présideront à la formation de l'univers et sont toujours en action de manière lente et obstinée. 

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Parfois, paradoxe dont la nature est elle aussi capable, la délicatesse et la translucidité de la porcelaine semblent contredire l'énormité des forces telluriques évoquées par le déploiement des formes. En dépit leurs petites dimensions, beaucoup de pièces sont dotées d'une monumentalité saissante, comme si toute une falaise avait pu étre miniaturisée. D'ailleurs, les Orientaux portent le plus grand soin à choisir pour leurs jardins des roches qui ont la merveilleuse propriélé de proposer au regard une véritable synthèse de tout un paysage. Même chose pour ces pierres de réve chinoises qui recèlent des sites grandioses. Très hautement prisées et commentés, ces objets naturels prennent place au rang des œuvre d'art.

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